Opérer un transfert de ruches, créer un rucher, installer une nouvelle colonie, … tout ceci n’est pas une mince affaire. Si beaucoup se plaisent à jouer les apprentis apiculteurs, nous avons de notre côté, préféré faire appel à un professionnel.
Apiculteur au Nord d’Oléron depuis une dizaine d’années, Emmanuel Rathier est un membre actif du Conservatoire de l’Abeille Noire à Oléron et s’occupe d’une cinquantaine de ruches d’abeilles noires au sein de sa structure « Les Ruches du Colombier ».
C’est lui qui nous accompagne dans notre volonté de créer un rucher d’abeilles noires sur le jardin Melifera. Nous avons eu la grande chance il y a quelques semaines d’assister au transfert de ses ruches sur notre espace. Une expérience impressionnante !
Quelques règles à respecter pour le transfert d’une ruche
Qu’est-ce qu’un transfert de ruche ? En quelle saison transférer une ruche, quelles heures de la journée sont les plus propices ? Peut-on déplacer des ruches n’importe où ? Quelles sont les étapes pour un transfert réussi ? Les questions sont nombreuses et nous partageons avec vous notre petite expérience (appuyée par le savoir-faire d’Emmanuel).
Transfert de ruche, déplacement, ou essaimage ?
Faisons d’abord un petit rappel de vocabulaire. Les abeilles vivent en colonie dans des ruches et plusieurs ruches forment un rucher.
La colonie est une société très organisée, composée de milliers d’abeilles travailleuses (50 000) autour d’une seule reine, dont la fonction unique est de pondre.
Il faut différencier déplacement d’une ruche et transfert d’une ruche.
Le déplacement consiste à prendre une ruche entière et à la déplacer géographiquement. Sur le jardin, nous avons effectué un déplacement (géographique, une nouvelle zone) et un transfert (dans de nouvelles ruches, de nouvelles maisons)
Dans une colonie, quand la reine vieillit, il arrive souvent qu’elle parte avec la moitié de la colonie pour créer une autre ruche et laisse la place à une nouvelle reine plus jeune. C’est ce qu’on appelle l’essaimage.
Une technique consiste à faire un essaimage artificiel pour éviter que la colonie ne se divise. L’essaimage artificiel revient à laisser la reine dans la ruche initiale et à prélever quelques cadres de la ruche avec des jeunes œufs pour que la colonie recrée une reine dans la nouvelle ruche.
Ce n’est pas cette technique que nous avons décidé d’employer : Emmanuel a effectué un transfert de la colonie avec sa reine dans une ruche neuve.
Sur les cinq ruches achetées, nous avons néanmoins laissé une ruche vide afin qu’éventuellement un essaim s’y installe.
Comme dans tout le jardin Melifera que nous travaillons en agroécologie, notre volonté est d’intervenir le moins possible. C’est la même logique pour les apiculteurs travaillant avec l’abeille noire : intervenir le moins possible afin de laisser l’abeille trouver la meilleure organisation pour résister aux saisons.
Quel moment est le plus opportun pour un transfert de ruche ?
Y a-t-il une saison idéale pour transférer une ruche, un moment, des règles à respecter ?
De nombreux apiculteurs choisissent l’hiver pour effectuer cette opération. Néanmoins, si c’est la période la plus calme en termes d’activité de l’apiculteur, ce n’est pas forcément la meilleure pour les abeilles.
Effectuer un transfert de ruche en hiver, c’est risquer de perdre la colonie. L’hiver étant une période calme en termes de reproduction, si le transfert se passe mal, s’il y a un chaos et que la reine meurt, il n’y aura pas de relève et on condamne toute la colonie.
La meilleure saison pour le transfert des ruches est sans doute le printemps ou encore l’été, quand les colonies ont redémarré.
Pour notre part, nous avons décidé de faire notre transfert en deux temps, les deux premières ruches fin mai, pour ensuite compléter notre rucher durant l’été.
Avant le transfert : le déplacement des ruches. Emmanuel est venu installer les anciennes ruches sur le jardin Melifera, juste à côté des ruches définitives, au lever du jour. C’est en effet le matin avant le lever du soleil ou le soir après son coucher que l’on peut déplacer une colonie car toutes les abeilles sont dans la ruche.
Il a bien veillé à respecter une distance de 3 km minimum pour ce déménagement. En effet, en dessous de 3 km, il y a un risque pour que les abeilles reviennent à l’emplacement d’origine et finissent par mourir.
Après une belle journée durant laquelle nous laissons à ces demoiselles le temps de s’habituer à cette leur nouvelle géographie, nous prévoyons le transfert définitif d’une ruche à l’autre le lendemain.
Le transfert des ruches étapes par étape
- Les anciennes ruches sont donc déplacées la veille sur le jardin Melifera
- A midi, quand la plupart des butineuses sont sorties et qu’il y a moins de monde dans la ruche, prélèvement des cadres avec délicatesse
- Il faut bien veiller à ce que la reine soit présente (elle est plus grande et facilement identifiable)
- La présence d’œufs et de larves est rassurante sur la vitalité d’une reine en activité
- Ce transfert est l’occasion pour notre apiculteur de vérifier la bonne santé de la colonie et l’avancée de leur architecture (Emmanuel ne met pas de cire sur les cadres et laisse les abeilles architectes construire leurs alvéoles, leur propre architecture en secrétant des écailles de cire)
- On replace les cadres délicatement en espérant que la colonie transférée sera heureuse dans sa nouvelle ruche.
Pourquoi ce transfert spécifique de ruches d’abeilles noires sur le jardin Melifera ?
Depuis la création de notre marque de Gin bio, depuis le choix même du nom Melifera (qui vient d’Apis Mellifera Mellifera, nom scientifique de l’abeille noire), nous avons décidé de nous engager en faveur de la protection de la biodiversité. Simplement parce que cela a du sens pour nous de créer une marque aux engagements forts. Créer un Gin bio, distillé avec des fleurs d’immortelles, inspiré par une nature généreuse, à laquelle nous voulons redonner.
En soutenant le conservatoire de l’abeille noire à Oléron, en finançant des tests génétiques, nous faisons une première action.
La création du rucher est une autre action qui a du sens : sur nos terres sont plantées nos immortelles, d’autres botaniques et plantes mellifères. Il n’y a qu’à voir l’activité qu’il y avait au mois de juin sur les immortelles en fleurs pour savoir que la chose à du sens. Notre volonté est de créer sur le Jardin Melifera une véritable réserve de biodiversité où s’épanouissent différentes espèces de la flore et la faune.
Petit rappel sur l’importance de soutenir l’abeille noire
Le conservatoire de l’abeille noire à Oléron protège cette race altérée par les hybridations et menacée d’extinction (puisqu’une hybride suffit à modifier son capital génétique).
Situé au Nord de l’île, il est une sorte de sanctuaire qui tend à n’avoir que des ruchers d’abeilles noires (quand le Sud est laissé aux abeilles hybrides).
Le choix de préserver l’abeille noire est motivé par le fait qu’elle soit l’abeille endémique de la région et surtout qu’elle soit une abeille plus robuste et plus adaptable aux changements climatiques.
Ne pas la préserver reviendrait à n’avoir plus que des abeilles hybrides, plus fragiles et dépendantes de la main de l’homme qui la nourrit.
Vous pouvez en savoir plus en lisant l’article dans lequel Zachary Gaudin vous explique en détail les spécificités de cette abeille et de la nécessité de la préserver.
Bilan du transfert des ruches après quelques mois
Maintenant que nos abeilles ont pris leurs marques, essayons de tirer quelques enseignements de l’observation de ce nouveau rucher.
Cet été 2022 a été une période très difficile pour toutes les abeilles, hybrides ou noires. Notre apiculteur nous parle d’une année catastrophique, comme il n’en a jamais connu. En faisant le tour de ses cinquante ruches d’abeilles noires, à la fin de l’été, il a constaté qu’il y avait très peu de miel dans les ruches.
Les hautes températures et la sécheresse ont découragé nos abeilles à sortir de la ruche. Chaque déplacement pour butiner représentait une trop grosse perte d’énergie.
Et il n’y avait de toute façon, pas assez de ressources à butiner, le gel tardif d’avril ayant stoppé certaines floraisons.
Les abeilles se sont mises en mode survie et ont consommé une grande partie de leur miel. Au travers de son activité des « ruches du Colombier », notre apiculteur préféré vend habituellement sa production de miel, mais cette année, il n’a pu faire aucune extraction de miel.
Mais la situation est encore plus compliquée puisque, contrairement aux pratiques habituelles de l’apiculteur d‘abeilles noires, Emmanuel a été obligé cette année, de nourrir les abeilles en leur donnant du glucose. Les abeilles noires, pourtant réputées pour être plus autonomes, ont souffert cette année et ont dû être nourries artificiellement. Il nous confie que c’est la première fois qu’il a recours au nourrissage d’abeilles en bonne santé.
Si le but d’avoir des ruches d’abeilles noires n’est pas la production de miel, ce signe inquiète néanmoins tous les professionnels et amateurs d’apiculture.
Quelles perspectives pour le Jardin melifera après le transfert des ruches ?
Aujourd’hui, le rucher Melifera compte quatre ruches d’abeilles noires avec une belle activité et une cinquième un peu plus fragile.
Il n’y a pas eu d’essaimage de nos abeilles et ce sont bien cinq transferts qui ont été effectués.
Les mois de septembre et octobre voient arriver la saison du lierre dont les abeilles sont friandes et qui fait de belles miellées. Nos abeilles vont constituer leurs réserves pour l’hiver et ne devraient plus avoir besoin de l’intervention d’Emmanuel pendant plusieurs mois.
Néanmoins, s’il ne les nourrit plus, notre apiculteur va continuer à leur rendre visite et vérifier qu’elles se portent bien. Il va aussi devoir effectuer des prélèvements réguliers pour vérifier la pureté de la colonie. C’est vrai que la préservation de l’abeille noire est un combat de chaque instant.
Quant à nous, nous allons continuer de développer notre jardin en favorisant la variété de plantes (telles que le romarin et les différents couverts végétaux que nous avons mis en place) épanouissant les abeilles et autres butineurs. Néanmoins, nous sommes conscients que pour bien faire, il faudrait qu’une superficie bien plus importante soit aussi riche que le jardin Melifera.
Pour aller plus loin, et pour faire vivre ce rucher, nous réfléchissons aussi à proposer des activités (visite, sensibilisation) autour des ruches en concertation avec l’apiculteur et en lien avec le Conservatoire de l’abeille Noire à Oléron et Zachary du CPIE Marennes Oleron.
Enfin, nous sommes ravis d’étendre notre collaboration avec des associations oléronaises telle que l’association « les sorties de la Renarde », par exemple, qui propose à ses membres des balades buissonnières avec sans doute une étape dans les ruches du jardin Melifera.
Admirer nos ruches sur le jardin, observer les abeilles butinant nos immortelles cet été, favoriser l’épanouissement de la biodiversité, et développer les partenariats locaux à Oléron sont autant de raisons qui nous confortent dans le choix que nous avons fait en faisant de Melifera une marque engagée ; ce sont autant de petites satisfactions qui donnent du sens à notre action.